UN PEU D'HISTOIRE...

UN PEU D'HISTOIRE...


Il y a quelques mois, mon oncle Michel m'a fait parvenir un article, extrait d'un petit journal local, "Le Curieux Vouzinois", dans les Ardennes.

Un journal qui nous plonge dans l'Histoire, le patrimoine, les anecdotes locales, ... et qui fait mémoire.  

Un journal encore édité aujourd'hui par une poignée de passionnés.


Cet article évoque "la goutte", "la gnôle" et le travail du distillateur.

C’était la goutte artisanale au bois, dans le petit village de Vandy.

Raymond Lalouette a succédé à son beau-père en 1934 ; il s’est arrêté au printemps 1987, à près de 77 ans.

Pendant 54 ans, Monsieur Lalouette a distillé les fruits dans l’atelier public du Pâquis qui avait servi d’écurie après 1914-1918 ; un baraquement rafistolé, aux murs de planches noircies par la fumée. Il a passé tous ses hivers à faire la goutte.

Extrait du journal « Le Curieux Vouzinois » - N°38-47-HS XIII




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« La goutte » à la façon de Vandy était réputée puisqu’on venait même de Charleville. C’était la goutte artisanale au bois. M. Raymond Lalouette a succédé à son beau-père, M. Couvert, en 1934 ; il s’est arrêté au printemps 1987, à près de 77 ans (le 12 juillet 1987). Pendant 54 ans, M. Lalouette a distillé les fruits dans l’atelier public du Pâquis qui avait servi d’écurie après 1914-1918 -baraquement rafistolé, aux murs de planches noircies par la fumée-. Il a passé tous ses hivers à faire la goutte-.

 

En janvier 1978, les élèves de l’école de Vandy, sous la conduite de leur institutrice -Mme Josie Darcq- avaient rendu visite au distillateur.

 

Écoutons-les :


« Faites-vous ce métier de père en fils ?

- Mon beau-père a fait ce métier avant moi. La relève n’est pas assurée, mon petit-fils Franck ne semble pas vouloir continuer.

 

Quel âge a votre matériel ?

- Une partie du matériel est de 1920. J’ai commencé ce métier en 1934. J’ai racheté un alambic en 1946. Je me suis procuré ce deuxième alambic à Louvergny l’an dernier. Tout le matériel est en cuivre.


Quel nom porte votre métier ? Quelles sont vos heures de travail ?

- Je suis distillateur. La personne qui apporte les tonneaux est un bouilleur de cru. Je travaille toute la journée. Je n’ai pas beaucoup de temps pour manger le midi.


A quoi sert ce matériel ?

- On verse le contenu d’un tonneau dans une marmite appelée cucurbite. Les fruits tombent sur la paille qui recouvre le fond criblé de trous. Le couvercle ou chapiteau, une fois fermé, sera aspergé d’eau froide. On remplit la chaudière de bûches de bois. On chauffe. Les vapeurs passent dans le col de cygne. Elles sont dirigées dans le serpentin. Ce tube en spirale plonge dans une cuve d’eau froide. On obtient le premier jus ou flegme.


Quels autres instruments utilisez-vous ?

- J’utilise un premier alcoomètre qui mesure le degré d’alcool de 0° à 35° ; le deuxième alcoomètre va de 35° à 70°.

 

Quel bois utilisez-vous ?

- J’utilise du bois blanc, bien sec ; il faut que le bois fasse beaucoup de flammes, plutôt que de la chaleur.


Quels fruits distillez-vous ?

- Je distille de l’eau-de-vie de pommes, de poires, de cerises, de framboises, de mirabelles, de quetsches, de prunelles. Un jour, un bouilleur de cru m’a apporté deux feuillettes de 120 litres dans lesquelles il avait renfoncé du sureau. La goutte sentait la fleur de sureau.


Quels rendements obtenez-vous ?

- Avec un tonneau, on espère obtenir 10 litres d’eau-de-vie. M. A… a eu 9 litres, M. D… a obtenu 18 litres. L’un a renfoncé trop de fruits verts, l’autre a réservé les fruits bien mûrs ; en cachette, il a ajouté 1 kg de sucre.


Y-a-t-il beaucoup de papiers à remplir quand on fait la goutte ?

- Pour conduire les tonneaux à l’alambic, vous devez avoir un laissez-passer. Vous allez le chercher à Vouziers chez Mme Parmentier. Je dois inscrire sur un registre le nombre de litres et le degré de l’eau-de-vie obtenus à la sortie du premier et du deuxième alambic. Le bouilleur de cru reçoit un laissez-passer du distillateur. Sur ce papier, on lit :

Madame D… M…, Vandy

Auto n°806 MM 08, route ordinaire

2 bonbonnes, 50°, 18 litres.

 

Qu’est ce qu’un « rat de cave » ?

- C’est un contrôleur qui peut venir vous demander : le laissez-passer, le nombre de litres de goutte, … Depuis cette année, ce sont de dames.


A qui appartient l’alambic ?

- Le matériel m’appartient, mais la maison est à la commune de Vandy. Je la loue, je paie l’eau et l’électricité.


D’où viennent vos clients ?

- Mes clients sont des habitants de Vandy, des habitués viennent de tous les villages voisins. Ma distillerie reste toujours à Vandy. On sait où me trouver. Certains alambics se déplacent aussi d’un village à l’autre. Gare au retardataire.


Tout le monde peut-il faire de la goutte ?

- Oui, tout le monde. Mais une loi (b) a réglementé la distillation de l’eau-de-vie. Tout propriétaire d’un verger, qui distillait lorsque la loi a été votée, peut faire 20 litres de goutte à 7,20 F. Les autres litres au-delà de 20 litres sont payés plus cher. Les autres bouilleurs de cru n’auront pas un seul litre à 7,20 F ; ils paieront le prix maximum dès le premier litre. »



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Le 7 juillet 1985, la station régionale de télévision, FR3 Champagne-Ardenne, effectue un reportage sur Vandy :

 

« Il y a une autre tradition, en tout cas, qui elle, n’a pas disparu, c’est la goutte de M. Lalouette. Cette goutte là, vous la distillez avec des méthodes tout à fait particulières ?

- Oui, la distillation se fait en deux temps. Premier temps, je mets de l’eau dans l’alambic que je chauffe et à l’ébullition, je mets les fruits. Je ferme l’alambic et à ce moment-là, l’eau-de-vie se met à sortir entre 30, 40 à 50°. Et je mets l’alcoomètre jusqu’à temps qu’il arrive à 15°. A 15°, j’arrête. Le jus obtenu, l’alcool obtenu, je le repasse dans l’alambic une deuxième fois. A ce moment-là, ça sort entre 70° ou 80°. Et alors là, je continue à distiller jusqu’à ce que ça arrive à 30°. A ce moment-là, j’ai un degré de 60-65°. Je vais chercher de l’eau de la source (c) que je remets dedans pour la ramener à 50°.


C’est de l’eau qui est tout à fait pure. Mais quels fruits vous utilisez pour ce type de distillation ?

- Principalement des quetsches, des mirabelles et des cerises. »


M. Lalouette a la conscience professionnelle de l’artisan, du travail bien fait, du client satisfait. Je me souviens d’une année, entre Noël et jour de l’An, où j’allais faire la goutte au nom de ma mère. J’avais conduit une feuillette de quetsches.

Le premier temps de la distillation déroulé, M. Lalouette met les flegmes dans le second alambic pour la repasse. Il y ajoute quelques morceaux de charbon de bois mis de côté pour enlever l’acidité de la goutte -un truc à lui-. C’est un samedi soir, et pas question de travailler le dimanche, c’est interdit par le règlement. Le lundi matin donc, le feu est allumé sous la chaudière, pas très vif pour la repasse ; il faut que la seconde distillation se fasse lentement. Au robinet, on guette, rien. On active un peu le feu, toujours rien : la goutte ne se décide pas à couler. M. Lalouette enlève le couvercle et… désespoir… vide ! Au fond, un trou minuscule par lequel le bon jus s’est écoulé durant tout le dimanche dans le foyer. Comment réparer le préjudice ?...

D’abord reboucher le trou : c’est l’affaire de M. B… du village voisin ; le travail du cuivre est délicat, mais son savoir-faire est grand. Mais comment retrouver la goutte disparue dans l’eau du fossé ? C’est alors que la générosité du « vieux » intervient : le père A… a toujours quelques tonneaux de quetsches renfoncées en réserve, au cas où la prochaine année serait mauvaise. Il descend une feuillette « en douce » à l’atelier public. Et le lendemain, 1er janvier, jour férié, M. Lalouette distille les fruits discrètement (il est interdit de travailler ce jour-là), on craint toujours les rats de cave. Quel courage ! Passer la journée du jour de l’An dans la baraque à goutte, froide, au milieu des courants d’air, pour que le client soit satisfait ! Réunis chez notre mère, mes frères étaient soulagés, eux à qui j’avais fait croire qu’ils allaient devoir remporter leurs litres vides… Il y a encore quelques années, cela n’aurait pas été possible, ajoute M. Lalouette ; chaque soir, je devais porter le col de cygne au Goulet, chez M. Dauphin, pour éviter la distillation de nuit (c’est là qu’on délivrait les laissez-passer).

Lorsqu’on venait chercher sa goutte, le soir à 18h, on entendait des « oh ! » de surprise à l’énoncé du rendement, ou des claquements de langue, chacun comparant sa goutte avec celle du voisin. Un soir de décembre -il fait sombre de bonne heure et souvent le brouillard se lève en cette saison-, un habitant de Ste Marie regagnait son domicile avec le précieux alcool. Il avait dû goûter le nectar avec force raison. Quelle ne fut pas notre surprise de le voir revenir une heure plus tard dans l’encadrement noir de la porte, l’air catastrophé. Il n’avait pas su négocier le virage du Pissoy, en bas de la côte de Vandy ; la bonbonne s’était fendue sous le choc, et la terre du fossé finissait d’éponger la goutte…



1992 : M. Lalouette jouit d’une retraite bien méritée. Il n’a pas trouvé de successeur. Les bouilleurs de cru ne prennent plus le chemin de la barraque à goutte. Elle a été rasée, peut-être pour y faire… un terrain de boules. Vandy a vu disparaître son dernier « faiseux » de goutte.   

 

(b) Créé à des fins politiques par Napoléon Ier en 1808, le privilège des bouilleurs de cru (droit de distiller pour son propre compte jusqu’à 35 litres d’alcool -ramené à 10 litres- pur par an et par bouilleur, soit 70 à 80 litres d’eau-de-vie, et exemption des droits de consommation) qui était héréditaire, a été supprimé par l’ordonnance du 30.8.1960, « à la mort de chacun des bénéficiaires ou de leur conjoint survivant ».


(c) L’eau vient de la fontaine St Rémy, trop plein de la source alimentant le village derrière la fontaine d’Hagneau.



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